Nouvelles Clés | Le blog du Happython

Nouvelles Clés

"Un portrait de Thierry Vermont, par Robert Geoffroy" (décembre 2006)
 

par Robert Geoffroy


Thierry Vermont est un artiste à l’origine d’un projet assez multidimensionnel : le Happython. Son idée de départ était simple : demander à un maximum de personnes, du monde entier et de 2 à 110 ans, ce qui les rendait heureuses, puis il a épinglé leurs témoignages comme des productions artistiques, des sortes de drapeaux. Cette dynamique a d’abord progressé dans des bureaux de poste, des galeries, à travers des « expositions citadines » (où les habitants sont tous présupposés être de potentiels artistes de leur vie et de leur ville) et elle arrive maintenant sur Internet et dans la presse au niveau international. Le Happython en est aujourd’hui (novembre 2006) à plus de 42 000 témoignages heureux !

Issu d’un milieu modeste et après avoir passé son enfance et son adolescence dans la banlieue parisienne, Thierry Vermont traverse sa scolarité avec la célèbre annotation « a des possibilités mais ne les exploite pas ». Après avoir surfé dans les sphères musicales, théâtrales, graphiques, virtuelles et plastiques, il s’étonne de sa capacité à s’identifier aux idées qui le traversaient, à travers des techniques originales où il considère son mental comme un os virtuel qu’il aime ronger pour se détendre. 

À travers ses dialogues et son travail de graphiste, Thierry présente la réalité comme un matériau malléable et plastique qui se déploie sous la forme d’un comics grandeur nature où les personnages, pudiques, font mine de rien pour ne pas déranger le décor. Quand on lui cite la fameuse phrase de Marcel Duchamp (artiste du siècle dernier et un des pères de l’art contemporain) : « C’est le regardeur qui fait le tableau », il ajoute gentiment : « Il est possible qu’il y ait également un individu juste derrière, qui fasse le regardeur qui fait le tableau pendant que le monde fait semblant de tourner autour ! ». Cet humour décalé est une marque de fabrique. 



Avec le temps, il en arrive à quelques conclusions pertinentes dans l’évolution de la représentation artistique : nous serions collectivement en train de prendre conscience de notre aptitude « d’artiste plasticien mental » et cette capacité nous permettrait de créer notre vie, tant individuelle que globale, comme une œuvre d’art multidimensionnelle.

Villageois Flasheur - © T.Vermont 

Thierry Vermont a compris ou découvert que l’accès au bonheur n’était pas l’apanage des nantis, ni même de ceux qui résolvent leurs conflits par le biais des démarches thérapeutiques et/ou spirituelles. Comment concerner le tout-venant ? Comment lui permettre de puiser dans ses propres aptitudes, plus réelles qu’insoupçonnées, pour toujours plus illuminer sa vie de plaisir, de contentement et d’amour, en un mot de bonheur ? Et toute son œuvre est la réponse ! 

En 1998, il a donc l’idée est de demander aux gens d’un peu partout ce qui les rend ou les a rendues heureuses, puis il épingle leurs témoignages comme des productions artistiques sur des séchoirs à linge qu’il appelle des « Porte-Bonheurs ». Cette dynamique progresse d’abord dans des bureaux de poste, des galeries, sur Internet puis à travers des « expositions citadines » où les habitants sont présupposés être de potentiels artistes de leur vie et de leur ville. 

Le 12 septembre 2001, son concept se développe sur Internet (www.happython.com) pour un « record du monde des moments heureux ». Cette idée perpétuellement nouvelle attire les curieux et donne le sourire. Le 11 septembre 2002, à l’occasion d’une exposition virtuelle à Austin, au Texas, Thierry Vermont prolonge l’idée avec www.boursedesvaleursvraies.com Une bourse des valeurs où l’on investit et mise son capital d’attention sur les valeurs (humaines) dont on veut voir grimper les cours, c’est-à-dire qu’on aimerait voir émerger dans le monde, avec un Top 50 des Convictions Collectives en Action. "Si on investit dans les valeurs qu’on veut voir exister, on ne peut pas échapper au bonheur ! ". Le CAC devient le Capital d’Attention Collectif. 

Mai 2003, dans le cadre de la manifestation Lille 2004, Capitale Européenne de la Culture, la ville de Mons-en-Baroeul (24 000 habitants), près de Lille, donne son accord pour développer le happening très particulier que propose Thierry Vermont pour la durée d’un an. Le but ? Créer un virus du bonheur ! Tous les mois, les habitants viennent au rendez-vous pour devenir « Agents du bonheur ». Ils repartent de ces conférences festives avec un dossier spécial de feuilles d’interviews heureuses vierges pour revenir un mois plus tard avec des témoignages de leurs familles et voisins. 

Au bout d’un an, 5000 messages sont collectés et épinglés - à consulter sur http://www.espacedubonheur.com/fil.php. De nombreux portraits vidéo sont diffusés. De 3 à 108 ans, des inconnus et des personnalités comme Bruno Solo, le 15 de France de rugby, Jack Lang, Christine Ockrent, Michel Jonasz, Patrick Fiori, Edgar Morin et bien d’autres se prêtent au jeu. Résultat ? Le 30 avril 2004, une cérémonie des Trophées Happython et le fameux Tapis Rouge se déroulent (une sorte de blague organisée qui rappelle les cérémonies oscarisées) et le maire remet des récompenses comme : « La personne la plus jeune qui a témoigné distinctement et heureusement », Joris, 3 ans, qui, nominé avec un spermatozoïde, un fœtus, et un bébé, remporte le prix. 

Mai 2004. À la fin de cet événement final, un bilan plutôt positif est établi : les media peuvent développer l’heureux virus http://www.espacedubonheur.com/arti..., les « Agents du Bonheur » tissent un réseau à travers le monde (Afrique, Canada, Europe, et même Bora-Bora !) et les êtres humains ne sont pas si farouches à cette idée. Thierry visualise alors de nouvelles directions créatives. 



Dans un premier temps, un vaste chantier virtuel commence à se créer et continue de progresser encore aujourd’hui. Il s’agit d’une plate-forme Internet, traduite en de nombreuses langues, composée bientôt de 5 autres sites. De nouveaux agents, en plus de celui du Bonheur apparaîtront bientôt : l’Agent Dépoussiérant, l’Agent Double Optique, l’Agent Actif, l’Agent d’Idéal, l’Agent Haute-Fidélité et l’Agent Multidimensionnel.
 


 

Médiateur - © T.Vermont 

Chacun de ces personnages de cartoon issu de sept prochains sites fait écho à ce qui se déroule à l’intérieur de nous. C’est l’apprentissage ludique exploré dans un atelier créatif appelé MultiD, proposé par Thierry Vermont. L’individu y fait émerger des perspectives créatives pour créer sa vie comme une œuvre d’art. Il y a, non seulement un village global externe qui s’agence progressivement au niveau international et dans le virtuel collectif avec le Happython, mais également un village interne (avec des « Vis-la-Joie ») qui s’exprime dans notre propre virtualité. 

Avec cette double perspective, micro et macro, la représentation interne peut ainsi avoir des échos à l’extérieur et vice-versa. L’interface dedans-dehors se désagrége un peu plus vite. Il précise : « S’il y a un village en nous et au dehors également, les perspectives qui vont de l’un à l’autre se fluidifient et on peut plus facilement trouver le chemin pour aller chercher le pain ! ». Le travail consiste à adapter le fond et la forme, détecter les schémas directeurs de notre « sculpture d’idées », voir les besoins derrière les images toutes faites. Le challenge : trouver sa motivation profonde et faire apparaître des solutions élégantes pour optimiser les processus d’accomplissement dans le monde dit réel. MultiD est une version individualisée du Happython. 

C’est ce qu’exprime une vidéo ludique sur le thème de « Comment devenir un incroyable artiste de sa vie ? », où Thierry expose ses idées sur un art multidimensionnel plutôt décalé. Il s’identifie à une dizaine de personnages allant du présentateur télévision cravaté aux « Vis-la-Joie » comme l’Aquoiboniste (celui qui dit « A quoi bon, A quoi bon ! »), en passant par le Flasheur hirsute qui va partout où on ne l’attend pas en allant nulle part et même le Médiateur auréolé qui a une attitude d’écoute intime pour vivre « in-team ». 



Il met en place d’autres vidéos comme : « Comment devenir un incroyable Agent du Bonheur ? » pour savoir comment ne pas réussir à obtenir des messages heureux et « Comment créer une incroyable exposition citadine ? », où il définit les transitions, pour passer du cadre du tableau (avec ses ombres et lumières, ses couleurs et la « ligne de fuite ») au cadre de référence (avec ses points de vue, ses humeurs colorés et sa « ligne de retrouvaille ») vers le cadre du quotidien (le cadre collectif qui cristallise la somme de nos points de vue qui tissent « l’arrêt-alité »). Il finalise d’autres travaux visuels avec ce rappel : « Je dédie tout le travail déjà effectué et à faire, à tous ceux qu’on a aimés, qui sont passés de l’autre côté, et à tous les moments heureux qu’il nous reste à créer avant de les retrouver... ou pas. »
 


 

Dépoussierant - © T.Vermont 

Tout ce matériel d’images, de situations ludiques, parfois pédagogiques, lui permet d’avoir un support nouveau pour proposer un autre aspect à sa dynamique. Il avance le projet suivant : une équipe d’allocataires du RMI vont devenir Agents du Bonheur et propager l’heureux virus dans une ville entière. La ville s’appelle Jeumont, dans le Nord, nous sommes en février 2006. 

Entre temps, d’autres expositions ont eu lieu, en Suisse pour « la Première Journée Internationale de la Terre » et pour les « Dialogues en Humanité », à Lyon, et des accords se sont effectués avec Métro, le journal gratuit, pour qu’un encart quotidien soit publié pendant 3 ans, où figurent la progression des messages heureux et une preuve par jour. 

Thierry envisage le travail à Jeumont (10 000 habitants) comme une version plus engagée de l’exposition citadine installée précédemment à Mons en Baroeul. Cette fois-ci, elle se décline en 6 phases distinctes, pour tenter une sculpture sociale. 

1/ Mobiliser les forces vives de la ville - communiquer le projet aux associations, services de mairies et autres acteurs sociaux et économiques.

2/ Créer une équipe et un réseau solidaires - atelier de théâtre et de communication et créer des liens pour avoir des lieux et personnes ressources.

3/ Annoncer la surprise aux habitants - officialiser le départ du Virus du Bonheur par le Maire et présentation du projet par l’équipe des Agents du bonheur.

4/ Créer des liens inédits dans la ville - développer une communication esthétique en posant la question : « Qu’est-ce qui vous rend ou vous a rendu heureux(se) ? » un peu partout dans la ville et aux alentours.

5/ La cérémonie des Trophées Happython - tous les témoignages collectés exposés sur des Porte-Bonheurs, la diffusion des films tournés pendant la période et remise des Trophées Happython, à l’équipe, au Maire et à toutes les personnes qui ont participé et ont permis que le Virus se diffuse.

6/ L’intérêt du bonheur et du sens dans l’accomplissement personnel et professionnel - un atelier avec l’équipe, pour parler de ce qui s’est passé, ce que cela a engendré dans la ville, quel a été l’impact pour les participants et en quoi cela peut être intégré élégamment comme une métaphore dans sa propre vie pour réaliser ce qu’on souhaite vraiment. 



Avril 2006 : l’événement apparaît pertinent et original et à l’arrivée, en un mois, 16 % de la population a témoigné. Les media suivent l’opération avec un regard amusé et étonné. Thierry Vermont, l’équipe qui l’accompagne et le concept lui-même les intriguent. Les observateurs sont devenus catalyseurs à leur tour, tout ça fait partie de l’œuvre en mouvement. C’est une invitation pour que l’individu prenne conscience de sa sphère d’idées, de son regard et de la façon dont il tisse ses liens de présence, à la fois sur la toile et autour de lui. Peut-être réalisent-ils que le choix de la création d’un moment heureux est un acte de création, de coopération, puis de réalisation ? D’où l’idée d’œuvre d’art collective... et en voici quelques uns qui, pris par cet élan, retrouvent du travail et surtout : l’envie. Il ne s’agit pas d’une thérapie mais de participer pour une Terre-Happy !


 


 

Aquoiboniste - © T.Vermont 

Trop positif ? Manque de discernement ? Il répond : « Il ne s’agit pas de prôner l’angélisme, nous avons aussi le droit d’être en colère et d’avoir peur. Mais étrangement, nous pouvons transformer dans notre propre monde, en son coeur, ces ombres que nous haïssons dehors et voir si cela change quelque chose. Et si c’était cela, le libre-arbitre ? Le pouvoir de jouer avec l’ombre et la lumière pour projeter de soi un éclairage qui convienne à tous, offrir ce cadeau au monde pour coopérer et sculpter cette oeuvre d’art multidimensionnelle. » 

Thierry Vermont propose une expérience unique, celle d’un éveil à un « méta-réalisme ». Au dix-neuvième siècle, lorsque l’on parle de réalisme, on fait allusion au fait de privilégier la substance du vécu quotidien (le travail au champ, la condition du peuple,...). Le nouveau réalisme, au vingtième siècle, visait à capter le monde actuel dans sa réalité sociologique surtout urbaine, et s’est exprimé notamment par un art de l’assemblage et de « l’accumulation d’objets ». Dans ce méta-réalisme, cet art multidimensionnel auquel il fait allusion, il s’agit de créer un regard extérieur à notre monde, pour l’observer comme une œuvre d’art collective. Nous en serions les potentiels artistes qui participent à l’élaboration de son mouvement, son expansion et également sa définition. 

Thierry Vermont suit cette intuition : « Nous sommes en train de voir se « liquéfier » notre espace-temps personnel (nos idées, nos croyances) au profit d’un espace-temps plus large, celui du collectif. Toutes ces technologies qui accélèrent les échanges d’informations changent notre interprétation du monde dans lequel on vit. Si les « paliers de décompression » ne sont pas respectés, s’il n’y a pas une certaine élégance qui facilite le passage, l’individu risque de se sentir totalement délocalisé. ». Selon lui, il est donc important de savoir à partir de quel point de vue on mise notre « capital d’attention » et sur quelles valeurs et quelles actions car cela a un vrai pouvoir dans notre monde et dans le collectif. 

Alors que dans le passé, notre tradition s’est focalisée sur l’apparence et la représentation des choses, un changement semble s’opérer actuellement : progressivement l’attention se porte sur les processus de changement, de transformation, de construction et d’émergence. Thierry surfe sur cette opportunité émergente et multiplie les perspectives et les recherches : un roman : « Scènes de la vie conjugale, vers l’au-delà et aux alentours » (non publié) peuplé de mots à découvrir dans un dictionnaire multidimensionnel annexe pourvu d’une grammaire non binaire. Un manifeste d’art multidimensionnel : « Vous êtes l’artiste de votre vie, même le lundi matin quand il pleut » (non publié également) où il exprime que la découverte de la ligne de fuite a révélé la dimension de profondeur sur les toiles de la Renaissance et qu’actuellement de nouveaux points de fuite apparaissent pour révéler de nouvelles dimensions au réseau planétaire. Pour lui, « avoir du recul », « être en empathie », « se sentir à l’origine », « coopérer » deviennent des lignes de fuite qui permettent de retrouver le « code source » de notre propre réalité d’individu et à la fois la clé de la navigation dans ce même réseau. L’application de cette nouvelle perspective implique une position nouvelle, à la fois éthique, poétique et perceptive et garantit que c’est bien à partir de valeurs humaines que nous participons à la création de ce réseau planétaire. En parallèle, il s’amuse également à créer le concept des Machines pour finaliser les sculptures internes négligées (plus communément appelée « problèmes » ou « confusion ») : La machine à décompresser les idées, à multiplier les points de vue, à traverser les obstacles, à neutraliser tout, à décoder et à recoder l’expérience, et même, la super machine pour trouver ce qu’on aime ! Tout un programme pour voir le mouvement intérieur se dessiner dehors et sourire de cette création mise en scène en installation virtuelle ! 

Terminons avec cette citation qui résume bien sa vision et la dynamique avec laquelle il fait peut-être équipe : « Lorsqu’il semblera évident que c’est notre capital d’attention qui alimente nos valeurs, nos convictions et nos actions, nous choisirons naturellement d’investir dans celles qui créent le bonheur et l’harmonie du monde que nous partageons. Nous arriverons alors collectivement à une nouvelle forme d’esthétique qui nous éveillera à notre nature profonde, à une éthique d’être qui nous inspirera à devenir des vecteurs élégants de l’évolution, armés d’un sourire en forme de boomerang. ». 

Robert Geoffroy est l’auteur de Regard d’un non-voyant, aux Editions du Souffle d’Or.

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